Thomas Nowak : l’algorithmique des bactéries et du vol des oiseaux

Distinctions Informatique

Différents systèmes biologiques peuvent être considérés comme des réseaux distribués, bénéficiant ainsi de l’apport de l’informatique, qu’ils alimentent en retour. Thomas Nowak, anciennement au LISN, maintenant au LMF applique ses travaux théoriques au vol des oiseaux et à la communication entre bactéries. Il a été nommé membre junior de l’Institut universitaire de France (IUF) à une chaire fondamentale.

Les travaux théoriques prennent parfois des trajectoires transversales surprenantes, les amenant sur des territoires plus concrets et proches d’applications à long ou moyen termes. Thomas Nowak, professeur à l’ENS Paris-Saclay et membre du Laboratoire méthodes formelles (LMF, CNRS/ENS Paris-Saclay/Université Paris-Saclay) est spécialiste de la théorie des systèmes et des algorithmes distribués, c’est-à-dire qui sont exécutés sur plusieurs processeurs différents en même temps.

Ces derniers peuvent être installés dans une même machine, par exemple dans un supercalculateur, ou sur des ordinateurs distincts et possiblement éloignés, comme dans le cas des serveurs et des télécommunications. Un problème fondamental dans le domaine des systèmes distribués est le problème dit du consensus : s’assurer que les processeurs et algorithmes travaillant chacun de leur côté trouvent bien des résultats cohérents, sans quoi ces erreurs pourraient faire planter le réseau.  

« Bien que je sois avant tout un théoricien, je m’intéresse aussi depuis six ans aux applications en biologie, précise Thomas Nowak. Je vois en effet de nombreux systèmes biologiques comme des réseaux et des systèmes distribués. J’ai d’abord étudié le vol des oiseaux et la manière dont ils se mettent d’accord pour suivre une direction commune. »

 Ces travaux permettent d’aborder différemment les réseaux dynamiques, où les agents communiquent de proche en proche avec des voisins qui ne sont pas toujours les mêmes. Thomas Nowak a ainsi caractérisé la vitesse à laquelle un consensus peut être atteint, pour par exemple décider d’une direction commune, en fonction de l’environnement dans lequel les oiseaux évoluent. Un résultat qui s’applique efficacement à certaines classes de réseaux dynamiques.

L’analyse de phénomènes naturels peut aider à développer des algorithmes aux performances remarquables.

L’étude des oiseaux présente cependant de nombreuses difficultés d’un point de vue algorithmique, ce qui a poussé Thomas Nowak vers les créatures les plus simples de la biologie : les bactéries et les virus. Il est ainsi entré dans le domaine de la biologie synthétique, où les microorganismes sont génétiquement modifiés afin d’accomplir des algorithmes conçus par les chercheurs.

« Une multitude de bactéries vivent au sein d’autres organismes, comme toutes celles que l’on retrouve le long de notre système digestif, explique Thomas Nowak. À long terme, nous avons l’espoir qu’elles pourront exécuter des algorithmes à des fins médicales, qu’il s’agisse de diagnostic ou de thérapie. Pour l’instant, nous implémentons les briques de base de la communication entre les microorganismes afin qu’ils puissent atteindre un consensus à l’échelle de populations importantes. Les applications médicales directes arriveront plutôt dans une dizaine d’années. »

Considérer les bactéries et les virus comme des systèmes distribués permet à la fois de comprendre et de modifier la nature. 

Thomas Nowak explore ainsi les différents moyens de communiquer une donnée, détenue par une sous-partie d’une population de bactéries, à l’ensemble des congénères présents. Cela revient là encore à converger vers un consensus, mais c’est également une forme d’amplification de signal. Les microorganismes se voient attribuer des valeurs booléennes, sous la forme de 0 ou 1, dont on souhaite qu’il n’en reste plus qu’une à la fin.

Si dans un ordinateur ces opérations sont réalisées par des composants électroniques, comme des amplificateurs et des transistors, ce rôle est ici joué par de petits brins d’ADN. Les algorithmes de Thomas Nowak entraînent une compétition : si deux bactéries opposées se rencontrent, elles se tuent mutuellement.

On pourrait alors penser qu’il suffit de créer un peu plus de l’une pour s’assurer qu’elle remporte le consensus final, mais le jeu des duplications et des morts naturelles demande d’ajuster plus finement que cela les paramètres des algorithmes. La nomination de Thomas Nowak à l’IUF ainsi que, à deux semaines d’intervalle, sa promotion comme professeur des universités lui permettront de pousser ses travaux et d’avancer vers de futures applications médicales

Contact

Thomas Nowak
Professeur à l’ENS Paris-Saclay, membre du LMF