Petit cerveau, grands trajets : les secrets de navigation d’Antcar
Inspiré par les remarquables capacités d’orientation d’une fourmi du désert, le petit robot Antcar apprend en une seule fois des trajets d’une cinquantaine de mètres, et ce, sans recourir à une localisation externe, grâce à un algorithme particulièrement économe. Ce robot a été mis au point par des chercheurs de l’Institut des sciences du mouvement Étienne-Jules Marey (ISM – CNRS/Aix-Marseille Université) et du Centre de recherches sur la cognition animale (CRCA - CNRS/Université de Toulouse).
La robotique bioinspirée s’inspire du vivant et c’est ici une fourmi andalouse qui a servi de modèle. Gabriel Gattaux, doctorant en biorobotique à l’ISM, sous la direction de Franck Ruffier, directeur de recherche CNRS au Lab-STICCLab-STICC , Julien Serres, professeur à l’Université d’Aix-Marseille et membre de l’ISM, ainsi qu’Antoine Wystrach, directeur de recherche CNRS au CRCA ont développé un robot capable de suivre un itinéraire sans avoir besoin de carte ni de GPS. Leurs travaux seront publiés dans la revue Nature Communications, sous le titre « Route-centric ant-inspired memories enable panoramic route-following in a car-like robot ».
Tout part de la fourmi Cataglyphis, qui ne peut pas se fier aux phéromones pour marquer son chemin, car vivant en milieu aride, ceux-ci s’évaporent trop vite pour être utilisées. La fourmi s’appuie donc principalement sur sa vision, un sens dont l’importance chez les fourmis est peut-être sous-estimée. L’algorithme employé par Antcar, une petite voiture équipée d’une caméra panoramique, s’inspire notamment des corps pédonculés, une région clé du cerveau des insectes qui leur permet d’apprendre et de mémoriser des indices visuels et olfactifs.
- Lab-STICCLaboratoire des sciences et techniques de l'information, de la communication et de la connaissance (Lab-STICC - ENIB/ENSTA Bretagne/IMT Atlantique/Université Bretagne Occidentale/Université Bretagne-Sud/CNRS)
« Nous utilisons un réseau neuronal très sobre, qui, contrairement aux algorithmes classiques comme ceux de Chat GPT et de l’apprentissage profond, ne repose pas sur la rétropropagation, explique Gabriel Gattaux. Les données ne circulent pas en boucle pendant des heures pour être affinées : notre robot apprend instantanément, au fil de son trajet ».
Cette rapidité d’apprentissage est rendue possible grâce à la très basse résolution des images traitées. Les fourmis ont en effet une vision peu précise, mais suffisante pour repérer les grandes formes de leur environnement. Les contrastes sont renforcés, ce qui permet un traitement plus rapide et plus robuste. Antcar parvient ainsi à suivre son chemin même si des obstacles impromptus ou des passants entrent dans son champ de vision, ou si certains repères visuels sont déplacés. Testé en intérieur comme en extérieur, le robot accomplit sa mission même avec une vision partiellement obstruée.
« Nos algorithmes se distinguent par leur efficacité. Là où la plupart des autres systèmes nécessitent 20 mégaoctets pour mémoriser un trajet de seulement cinquante mètres, nous n’avons besoin que de 20 kilo-octets, soit mille fois moins. Concrètement, un parcours de 50 mètres ne pèse pas plus qu’un simple e-mail envoyé à un ami, souligne Gabriel Gattaux. L’erreur moyenne latérale est inférieure à 25 centimètres sur 1,6 kilomètre de trajets testés et ce même en présence de passants ou en l’absence de repères visuels marquants tels que des voitures. »
Autre atout : son coût réduit. Le robot, d’une valeur totale de 150 euros, fonctionne avec un simple Raspberry Pi 4. L’algorithme, codé en Python, ne nécessite qu’un processeur classique (CPU), bien moins coûteux et moins énergivore qu’un processeur graphique (GPU).
Pendant qu’il se déplace, Antcar mémorise les panoramas autour de lui selon maintes orientations. Ce robot ne dispose pas d’un système GPS ou équivalent pour s’orienter. Malgré tout, ce système bio-inspiré ne vise pas à remplacer ces systèmes de localisation, mais pourrait servir de solution de secours économique en cas de défaillance. Il pourrait également être utile dans tous les cas où la localisation est encore très complexe, comme dans des tunnels ou pour les rovers envoyés sur Mars.
Dans une dernière expérience, le robot a réussi à effectuer des allers-retours entre deux points. Cela signifie qu’il est capable de suivre un itinéraire dans un sens comme dans l’autre et d’en repérer les extrémités. Le robot parvient pour l’instant à suivre un chemin d’une cinquantaine de mètres, les chercheurs visent à présent des distances bien plus longues. Ils prévoient également d’appliquer ces travaux à des robots volants.
En savoir plus
- Gabriel G. Gattaux, Antoine Wystrach, Julien R. Serres, Franck Ruffier. Route-centric ant-inspired memories enable panoramic route-following in a car-like robot. Nature Communications, 16, article number: 8328, 2025.
- Les nouveaux robots bioinspirés | Reportage CNRS. Vidéo YouTube CNRS, 21 février 2025
- Route-Centric Ant-Inspired Memories Enable Panoramic Route-Following in a Car-like Robot. Vidéo YouTube, G.Gattaux, A.Wystrach, J.Serres, F.Ruffier , 23 avril 2025