Le Petit Camion : l'intelligence artificielle au service des secours et urgences

« Vous envoyez bien un petit camion, hein ? » est une question à première vue anodine. Elle peut cependant s’avérer très importante, notamment lorsqu’il s’agit de s’assurer que les secours auront bien accès à la rue très étroite. Cette situation cartoonesque pourtant bien réelle met le doigt sur deux processus cognitifs : la perte de flexibilité mentale et le biais d’engagement.
Dans ses travaux, Evelyne Clément, professeur à CY Cergy Paris Université et membre du Laboratoire PARAGRAPHE (CY Cergy Paris Université/Université Paris 8), définit la flexibilité mentale comme « la capacité à changer de point de vue sur la situation quand une première interprétation ne permet pas de trouver la solution »https://www.researchgate.net/profile/Evelyne-Clement/publication/263963687_Etude_des_differences_de_flexibilite_mentale_dans_l%27activite_de_resolution_de_problemes/links/02e7e53c694deae8fa000000/Etude-des-differences-de-flexibilite-mentale-dans-lactivite-de-resolution-de-problemes.pdf . Le biais d’engagement, quant à lui, désigne « la tendance à persister dans un comportement irrationnel malgré des résultats de plus en plus négatifs »https://hal.science/hal-03377541/document . Avec plusieurs millions d’appels reçus chaque année, les opérateurs et opératrices téléphoniques des différents Centres de traitement de l’alerte chargés d’envoyer les secours y sont particulièrement sensibles.

L’IA étant au cœur de l’actualité, c’est assez naturellement que le Lieutenant-Colonel Laurent Nicolas du Service Départemental d’Incendie et de Secours de Haute-Garonne (SDIS31) s’est rapproché de scientifiques expérimentés pour réfléchir conjointement à son intégration dans le logiciel de gestion des appels d’urgence. 
Pouvons-nous détecter automatiquement la perte de flexibilité mentale et le biais d’engagement ? Indiquer aux opérateurs et opératrices téléphoniques qu’une information importante n’a pas été prise en compte ou a été omise ? S’assurer que l’IA puisse assister l’opérateur ou l’opératrice téléphonique sans biaiser l’échange ? Voilà tout autant de questions auxquelles les partenaires du projet « Le Petit Camion » (2025-2028) essaient de répondre, grâce au financement accordé par l’Agence Nationale de la Recherche.

L’Institut de Recherche en Informatique de Toulouse (IRIT – CNRS/Universités toulousaines), le Laboratoire Informatique d’Avignon (LIA – Avignon Université), Inria, le SDIS31 et l’entreprise AnthroPi travaillent main dans la main sur ce défi : mettre l’IA au service des services téléphoniques d’urgence. Leur collaboration vise tout d’abord à rendre possible l’évaluation automatique de la cohérence linguistique entre les informations saisies dans le logiciel et celles issues de l’appel téléphonique. Puis, l’appel téléphonique est analysé de diverses façons afin de récupérer des indices sur l’état physiologique et émotionnel des interlocuteurs, mesurer l’intelligibilité et la compréhensibilité de la parole, mais également analyser l’environnement sonore pour repérer des bruits notables comme une explosion ou des cris. Ces informations sont essentielles pour repérer une perte de flexibilité mentale ou un biais d’engagement. 

Ici, l’IA n’est pas vouée à remplacer les opérateurs téléphoniques, mais à les soutenir dans la tâche difficile qui leur incombe. Une attention particulière est portée à l’évaluation de la performance de l’IA mais aussi à son acceptabilité par les opérateurs et opératrices. Enfin, les données dont il est question étant à caractère sensible, le projet suit une démarche rigoureuse respectant le règlement général sur la protection des données et aux aspects éthiques de ce travail.