Une cartographie internationale du temps de sommeil rendue possible par un jeu vidéo

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Des chercheurs du Laboratoire d'Informatique en Images et Systèmes d'Information (LIRIS - CNRS/INSA de Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1) et de cinq universités anglaises ont utilisé la base de données des joueurs de Sea Hero Quest, conçu pour le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer, pour explorer les habitudes de sommeil d’une population la plus vaste et la plus variée possible. Publiés dans Nature Communications, ces travaux consolident des phénomènes déjà mis en évidence et offrent des résultats inédits.

De nombreuses études reposent sur des bases de données incluant l’âge, le sexe ou encore la nationalité de patients. Cela permet notamment de mieux mesurer et comparer des phénomènes, tout en ayant la trace d’un maximum de paramètres pouvant les influencer. Les chercheurs ont ainsi intérêt à établir et employer les bases de données les plus complètes possibles, quitte à y parvenir par des moyens originaux.

Le jeu mobile Sea Hero Quest est gratuit, mais les utilisateurs peuvent transmettre, en toute transparence, différentes informations. « De nombreux paramètres ayant un impact connu sur la navigation spatiale sont inclus dans notre base de données, explique Antoine Coutrot, chargé de recherche CNRS au LIRIS. Les médecins peuvent ainsi comparer les performances d’orientation dans l’espace de leurs patients avec celles de personnes du même âge, du même genre, de la même nationalité… Cela a d’abord été pensé pour le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer. »

En trois ans, plus de quatre millions de joueurs ont enrichi la base de données, offrant une telle quantité et qualité d’informations qu’elles ont permis de lever le voile sur d’autres sujets.

Antoine Coutrot a commencé à travailler également sur des questions liées au sommeil et, face à l’ampleur des résultats, il s’est associé à des chercheurs des universités britanniques d’East Anglia, de Leeds, de Bournemouth, de Lancaster et de l’University College de Londres. Ensemble, ils ont demandé aux joueurs combien d’heures ils dorment par nuit en moyenne. Ils ont été 730 000, répartis entre soixante-trois pays, à répondre, ce qui est bien supérieur aux plus grandes bases des données disponibles sur le sommeil. Certains résultats étaient déjà connus, mais ils ont pu être confirmés à plus grande échelle et surtout dans de nombreux pays souvent oubliés des études scientifiques. Par exemple, les femmes dorment en moyenne sept minutes et demie de plus que les hommes. Les habitants d’Extrême-Orient, en particulier les Japonais, dorment en moyenne moins que le reste de la planète.

Ces travaux ont également révélé des surprises, comme le fait que le temps moyen de sommeil évolue partout pareil avec l’âge, selon trois grandes phases. La durée moyenne du sommeil décroît fortement de 19 à 33 ans, puis continue de diminuer, mais plus lentement, de 34 à 53 ans. De 54 à 70 ans, ce temps remonte. « Nous montrons que c’est une tendance presque universelle, affirme Antoine Coutrot. Il y a évidemment des aspects sociaux, mais aussi hormonaux. »

Ces travaux s’articulent entre une étude démographique à très grande échelle et une étude des relations entre le sommeil et les performances de navigation spatiale.

Un pan de ces travaux concerne la répartition géographique de la durée du sommeil, montrant que plus l’on s’éloigne de l’équateur et plus on dort en moyenne longtemps. Cela reste vrai même en prenant en compte les différences de niveau de vie. Enfin, la durée moyenne de sommeil influe assez peu sur l'orientation dans l'espace, sauf pour les personnes les plus âgées chez qui ceux qui dorment sept heures sont notablement meilleurs.

La richesse de la base de données Sea Hero Quest pousse l’équipe à s’ouvrir à de nombreuses disciplines, des neurosciences à l’intelligence artificielle, en passant par les sciences sociales. Des travaux en cours comparent ainsi l’autoévaluation des capacités d’orientation des joueurs et leurs performances réelles, pour vérifier l’influence des différences culturelles sur la perception de ses aptitudes. D’autres concernent l’impact de différentes réformes éducatives et de l’âge jusqu’auquel l’instruction est obligatoire. « Nous sommes ouverts aux collaborations, conclut Antoine Coutrot, et nous avons mis en place un serveur pour que d’autres équipes de recherche puissent télécharger notre application et la base de données. »

Durée quotidienne moyenne du sommeil par pays. / © Antoine Coutrot et al.

Publication

A. Coutrot, A. S. Lazar, M. Richards, E. Manley, J. M. Wiener, R. C. Dalton, M. Hornberger & H. J. Spiers. « Reported sleep duration reveals segmentation of the adult life-course into three phases »Nature Communications volume 13, article number: 7697 (2022). 

Contact

Antoine Coutrot
Chargé de recherche CNRS au LIRIS