« Bouba » est universellement rond et « kiki » pointu. Oui, mais pourquoi ?

Résultats scientifiques Signal

Dans la revue Scientific Report, deux chercheurs grenoblois ont montré que la réponse vient de la physique des objets. Le mot « bouba », jugé rond, est composé de sons plus graves et plus continus que « kiki », jugé pointu. Or, lorsqu’ils heurtent ou roulent sur le sol, les objets ronds produisent des sons plus graves et continus que les objets pointus. C’est parce que l’Humain a intégré ces propriétés physiques des objets dans le langage, que « bouba » est devenu universellement rond.

Supposons que l’on vous présente deux objets, l’un rond et l’autre pointu. Si l’on vous demande lequel s‘appelle « kiki » et lequel « bouba », même si cette question semble saugrenue, la réponse est en général immédiate et unanime : le rond, c’est bouba, et le pointu, c’est kiki, bien sûr ! Ce phénomène universel, nommé « effet bouba-kiki », est retrouvé à travers les langues et les cultures. Il est aussi très intrigant pour ce que l’on sait du langage. En effet, les linguistes ont bien montré que les sons des mots d’une langue sont arbitraires : le mot « table » ne contient rien par lui-même qui permet de savoir à quel objet il fait référence. Cette caractéristique du langage se nomme « l’arbitraire du signe ». Mais il existe quelques exceptions, dans lesquelles le son semble susciter spontanément une signification, sans que l’on sache vraiment pourquoi. L’effet bouba-kiki est un cas extrêmement frappant de ce « symbolisme sonore ». Depuis sa découverte il y a près d’un siècle, de nombreuses équipes cherchent une explication convaincante à ce phénomène.

Or, une équipe grenobloise a publié dans Scientific Report une étude qui donne une réponse simple et convaincante à ce mystère. Mathilde Fort, maîtresse de conférences à l'Université Claude Bernard et membre du Laboratoire de psychologie et neurocognition (CNRS/Université Grenoble Alpes/Université Savoie Mont Blanc) et au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CNRS/Inserm/Université Claude Bernard Lyon 1), et Jean-Luc Schwartz, directeur de recherche CNRS au laboratoire Grenoble Images Parole Signal Automatique (GIPSA-lab, CNRS/Université Grenoble Alpes) ont d’abord montré, par l’analyse phonétique de plus de mille stimuli de parole, que les sons de parole comme « bouba » ou « malouma », jugés ronds, sont plutôt graves et continus. À l’inverse, les sons comme « kiki » ou « takété », perçus comme plutôt pointus, sont davantage aigus et discontinus. En s’appuyant sur une démonstration mathématique, ils ont ensuite prouvé que les sons produits par des objets ronds, lorsqu’ils heurtent ou roulent sur le sol, sont systématiquement plus graves et continus que ceux produits par des objets pointus. C’est parce que l’Humain a intégré ces propriétés physiques des objets dans le langage, que « bouba » est devenu universellement rond.

« Bouba » est rond et « kiki » pointu car l’humain a intégré son environnement physique dans le langage.

Cette découverte vient ainsi proposer une réponse satisfaisante à une énigme ancienne, qui a intrigué des générations de chercheurs et chercheuses en sciences cognitives et en linguistique à travers le monde. Elle éclaire également d’un jour nouveau les recherches sur le langage des humains, en montrant que celui-ci est perméable aux propriétés physiques des objets du quotidien.

Contact

Jean-Luc Schwartz
Directeur de recherche CNRS au GIPSA-lab
Mathilde Fort
Maîtresse de conférences à l'Université Claude Bernard et membre du Laboratoire de psychologie et neurocognition et au Centre de recherche en neurosciences de Lyon