Yann Ponty : « Naviguer entre la France et le Canada a été extrêmement dynamisant »

Institutionnel

Yann Ponty, chargé de recherche CNRS, bioinformaticien spécialisé dans les ARN, est parti pendant deux ans en mobilité à l’unité mixte internationale (UMI) de mathématiques PIMS. De retour en France au sein du Laboratoire d’Informatique de l’École polytechnique (LIX - CNRS/École polytechnique), son laboratoire d’origine, il fait le point sur cette expérience et ce qu’elle lui a apporté.

Quelles étaient vos motivations pour demander ce détachement ?

J’avais commencé des travaux avec Cédric Chauve, chercheur à Vancouver, à l’occasion de son séjour sabbatique à Bordeaux, et nous voulions poursuivre des recherches sur la bioinformatique des ARN, ainsi que sur un sujet de génomique comparative que je découvrais alors. Beaucoup des outils que j’avais développés dans mes recherches récentes promettaient de s’appliquer à ce nouveau domaine pour moi. J’avais également d’autres centres d’intérêt sur des thématiques en lien avec ma thèse sur les marches aléatoires, la combinatoire énumérative… Pour cela, j’étais en relation avec Marni Mishna, aussi en poste à Vancouver. Il y avait donc deux projets de collaborations indépendantes que nous voulions mettre en place. Vancouver regroupe enfin une grosse communauté sur mes thèmes de recherche, et je pouvais donc envisager plusieurs collaborations intéressantes.
De plus, j’étais à un moment charnière au niveau scientifique, j’avais envie de me renouveler un petit peu, j’avais fini beaucoup de projets ces dernières années. Mon laboratoire était très riche mais là ça me permettait de voir quelque chose de nouveau, j’ai vu ça comme une opportunité exceptionnelle. Au niveau personnel, ma compagne avait un peu fait le tour de son emploi parisien, et souhaitait changer de contexte. Ça peut être un des obstacles de ce genre de déplacement, quand le conjoint suit sans pouvoir trouver de projet professionnel sur place. Mais là ça ne s’est pas fait à son détriment : elle a commencé par 6 mois de free-lance pour son ancienne entreprise, puis elle a trouvé une entreprise canadienne.

Pouvez-vous nous dire quels ont été les apports, mais aussi les contraintes, de ce détachement ?

Globalement ça a été extraordinairement dynamisant : les gens là-bas ne travaillent pas de la même façon, ils ont une manière de fonctionner complémentaire de la tienne. Beaucoup de formations françaises se ressemblent, donnent un peu le même mode de pensée, et on ne s’en rend compte que quand on part à l’autre bout du monde. Par exemple, j’étais dans un département qui regroupe au même endroit de la théorie des graphes, de la combinatoire énumérative et de la bioinformatique, donc à la fois des gens qui se ressentent comme des mathématiciens, et d’autres qui seraient dans un laboratoire d’informatique en France. Cela donne un apport différent, et on accède ainsi à un brassage de personnes d’autres horizons dans les séminaires par exemple.
Au niveau humain, ça a été extraordinaire de naviguer entre la France et l’Amérique du Nord. Les étudiants ne fonctionnent pas de la même façon par exemple, là-bas ils ont une ambition plus immédiate, ils ne doutent pas et vont jusqu’au bout d’un projet, alors qu’en France nos jeunes chercheurs sont souvent plus rigoureux, et vont creuser dans des idées plus exploratoires. Il n’y a pas de système meilleur ou pire, mais la possibilité de faire des allers-retours entre les deux était extrêmement enrichissante. Cela me permettait là-bas d’avancer et de finaliser des choses sur lesquelles j’avais des doutes, tandis qu’en France ça me mettait en lumière des choses à creuser, et de prendre le temps de le faire. Les deux côtés permettent ainsi d’aborder des choses différentes. Cela tient aussi au fait que le CNRS en France a une vision à long terme, ici on comprend que certains résultats prennent du temps, nous sommes plus centrés sur la science que sur sa justification économique. Ce n’est pas la même pression pour nos collègues à l’étranger, qui ont une obligation de rendement académique plus soutenue, avec une titularisation tardive à la clé, au risque de susciter une tentation de « faire du chiffre ».

Outre les publications issues des collaborations sur des sujets nouveaux pour moi, l’énorme apport a été une forme de prise de recul. J’étais à un moment charnière entre deux grades de chargés de recherche, avec une nécessité de prise de responsabilités, l’encadrement d’étudiants… Aux États-Unis, le fonctionnement est que chaque chercheur a son équipe. Ça m’a motivé pour monter et contractualiser mes propres projets, que je coordonne maintenant : une ANR bi-nationale avec l’Autriche et un projet soutenu par la Fondation de la recherche médicale avec des expérimentalistes de l’Université Paris Descartes. Ça m’a permis de mener mes recherches plus personnelles, et de prendre mon essor au sein de l’équipe.

Si je dois chercher ce qui a été moins bien, le plus difficile était sans doute d’entrer en communication avec la France. Il y avait un gros décalage horaire, et donc pour les questions administratives c’était difficile de se « capter ». Au niveau du choc culturel, c’était plus facile quand j’étais plus jeune ! Je n’ai pas ressenti de barrière liée à la langue, car j’avais déjà expérimenté la vie en pays anglophone lors de mon postdoc, mais j’ai trouvé qu’il était plus difficile de se faire des amis, Il y a eu une forme de nostalgie aussi, même si je rentrais 4 à 5 fois par an pour participer au comité national.

Ceci étant dit, je n’ai aucun regret sur le fait de rentrer, il y a beaucoup de choses que j’ai envie de faire ici, j’amène mes projets de recherche avec moi au LIX. Je souhaite bientôt proposer un projet de recherche me permettant de poursuivre les collaborations entamées et, peut-être, retourner une ou deux semaines par an à Vancouver.