Lucile Sassatelli : développer la réalité virtuelle comme outil de sensibilisation et d’éducation

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Lucile Sassatelli, maîtresse de conférences à l’Université Nice Sophia Antipolis (membre de Université Côte d’Azur), travaille sur les questions de streaming pour la réalité virtuelle au sein du laboratoire Informatique, Signaux et Systèmes de Sophia-Antipolis (I3S - CNRS/Université Nice Sophia Antipolis). Elle vient d’être nommée pour cinq ans à l’Institut universitaire de France (IUF) en tant que membre junior.

Vous travaillez sur le développement de la réalité virtuelle : quels sont les enjeux de vos recherches et leur intérêt ?

Lucile Sassatelli : Mes recherches portent sur les réseaux informatiques, et plus particulièrement la transmission de contenus multimédia sur les réseaux. Durant ma nomination à l’IUF, je vais surtout me focaliser sur les médias immersifs. Je travaille beaucoup sur la réalité virtuelle qui équivaut à avoir un environnement virtuel comme une vidéo dans laquelle le spectateur est totalement immergé par le port d’un casque. En termes d’applications, la réalité virtuelle a beaucoup été développée pour les jeux, mais aussi pour reproduire des environnements réels filmés en 360°. Cette seconde application m’intéresse plus spécialement. Il y a un grand aspect sociétal au développement de ce genre de nouveaux contenus immersifs, dans lesquels les utilisatrices et utilisateurs vont pouvoir évoluer.

Il y a donc beaucoup de potentialité dans la réalité virtuelle, qui peut être envisagée comme une nouvelle forme d’art reliée à la cinématographie, et qui constitue un instrument novateur et efficace dans plusieurs domaines (documentaire, journalisme, narration, etc.). Un intérêt de la réalité virtuelle est sa capacité à déclencher l’identification et l’empathie. Ainsi, la RV est un puissant moyen de sensibilisation à différentes problématiques. Je crois qu’elle a le potentiel de nous faire expérimenter les biais que nous avons internalisés, et peut ainsi aider à agir sur des enjeux sociétaux majeurs, tels que la discrimination envers les femmes.

On peut d’ores-et-déjà envisager cet outil à des fins de sensibilisation, comme la représentation des femmes au sein de la société.

 La réalité virtuelle est également envisagée pour l’éducation à distance. Il existe un fort intérêt pour cette application, dans les pays en voie de développement, lorsque les enfants n’ont pas toujours accès à une salle de classe ou une sortie culturelle à but éducatif. La réalité virtuelle peut atténuer ce manque.

Quels sont les problèmes auxquels vous faites face dans le développement de ces nouvelles applications en réalité virtuelle ?

L.S. : Du point de vue scientifique, le développement de ce genre de contenu est freiné en raison de la difficulté à les diffuser en streaming sur Internet. En effet, le débit nécessaire pour visionner une vidéo en 360° en streaming peut être cent fois supérieur à celui d’une vidéo classique pour obtenir la même qualité. J’essaye donc de concevoir des stratégies pour favoriser l’accès à ces contenus immersifs dans des conditions où le débit du réseau est insuffisant, et ainsi contribuer à démocratiser leur accès. Ce que l’on peut faire très simplement afin de diminuer le débit nécessaire pour le visionnage est de n’envoyer en haute qualité que la partie de la sphère dans le champ de vision de la personne, le reste étant envoyé en basse qualité. Cependant, pour faire cela pendant le streaming avec un serveur distant du client, cela suppose de savoir à l’avance où l’attention de la personne va se porter, c’est-à-dire de prévoir ses mouvements de tête et d’yeux. À partir de ce point, il existe deux possibilités : soit on tente d’anticiper les mouvements de regard de la personne en fonction ce qu’elle a déjà regardé, et du contenu de la vidéo. Soit on prend cette approche à contrepied : on essaye également de contrôler, de diriger le regard des utilisatrices et utilisateurs. Bien sûr, cela doit rester un contrôle subtil de l’attention, afin que la personne ne ressente pas directement que sa liberté d’action diminue. Mais c’est une action parfaitement classique en audiovisuel, qui correspond au montage. Une fois l’attention dirigée, on peut mieux prédire où elle va se porter, et ainsi la transmission du contenu est améliorée et nécessite moins de débit.

Je conçois des stratégies pour favoriser l’accès à ces contenus immersifs dans des conditions où le débit du réseau est insuffisant, et ainsi contribuer à démocratiser leur accès

À partir de là se pose la question de comment déclencher ces outils de conduite de l’attention, en fonction de l’état du réseau et du comportement des utilisatrices et utilisateurs. Pour cela, dans le deuxième volet de mon projet IUF, je travaille sur des méthodes de machine learning (apprentissage machine). Bien sûr, dans le cas où le débit est bon, la personne doit pouvoir garder sa totale liberté de mouvement dans l’environnement immersif. Mais si le réseau est mauvais, on peut subtilement limiter la liberté des utilisatrices et utilisateurs au lieu d’afficher une basse définition. Par exemple, nous avons élaboré une méthode de montage dynamique qui offre la possibilité de repositionner la personne en face d’une région pré-déterminée grâce à une rotation instantanée de la sphère, que la majorité des personnes ne perçoivent pas en raison de notre habitude de visionner des scènes très segmentées. Mais cette rotation ne doit être déclenchée que si besoin et le machine learning va permettre un ajustement automatique en fonction de ces différentes variables : la vidéo, le réseau et les mouvements de la personne.

Il existe un cœur interdisciplinaire fort dans mon travail : je collabore avec d’autres thématiques de l’informatique comme les interactions humain-machine ou l’apprentissage machine, mais aussi avec le monde de l’audiovisuel pour les techniques de montage, ainsi qu’avec les neurosciences pour faciliter un usage thérapeutique de la réalité virtuelle.

Quelles sont pour vous les pistes d’évolution pour cette technologie et ses applications ?

L.S. : Finalement, nous ne sommes qu’au début de la réalité virtuelle. Les casques ne connaissent un engouement du grand public que depuis 4 ans, quand ils sont devenus plus accessibles en terme de prix. Sauf que cette technologie n’est absolument pas mature, notamment sur le plan visuel. Cela évolue très vite, et pour améliorer les problèmes liés à l’image, on envisage d’ores-et-déjà l’eye tracking, par exemple. Il y a également des pistes d’amélioration sur le montage, sur le design des contenus. Une chose est sûre, c’est que dans les cinq ans à venir, la réalité virtuelle devrait connaître de belles avancées scientifiques et technologiques, avec de nouvelles approches afin de mieux contribuer aux aspects sociétaux pour lesquels elle ouvre des perspectives enthousiasmantes !

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Lucile Sassatelli
Maîtresse de conférences à l’Université Côte d'Azur, membre de l'I3S