Les premiers prix de la science ouverte du logiciel libre de la recherche

Distinctions Institutionnel

L’accès à la science passe par différentes initiatives, dont le soin de garder libres certains logiciels développés par des chercheurs. Soucieux de soutenir ceux qui s’inscrivent dans cette démarche, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a décerné pour la première fois les prix Science ouverte du logiciel libre de la recherche. Remis le 5 février, ils soulignent l’importance et le rayonnement de dix logiciels conçus par des équipes françaises. Les lauréats sont aussi bien des créations récentes que des développements remontant à près de quarante ans, mais toujours tenus à jour et utilisés.

Les logiciels libres sont un exemple concret des idéaux de partage des savoirs et du progrès promus par la science. Le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a ainsi inauguré, les 4 et 5 février, la première édition des prix Science ouverte du logiciel libre de la recherche. Cette reconnaissance s’inscrit dans le cadre d’un large mouvement de soutien de ces initiatives, comprenant le deuxième Plan national pour la science ouverte et les Journées européennes de la science ouverte.

Pour remettre ces prix, un jury de dix experts s’est réuni autour de Daniel Le Berre, professeur à l’Université d’Artois et membre du Centre de recherche en informatique de Lens (CRIL - CNRS/Université d’Artois). Dix logiciels développés par des équipes françaises ont ainsi été primés. Trois catégories récompensent respectivement la qualité scientifique et technique du logiciel, la construction d’une communauté active de contributeurs et d’utilisateurs, et, enfin, les efforts pour concevoir une documentation qui facilite l’usage et l’appropriation de ces solutions. Un prix du jury a également été décerné, ainsi que plusieurs accessits face aux qualités de tant de candidats. Certains remontent d’ailleurs à plusieurs décennies et ont été élaborés par des équipes ayant connu depuis de nombreux changements.

Voici les logiciels lauréats issus de laboratoires rattachés à l’INS2I - CNRS.

Coq

La catégorie Scientifique et technique a été remportée par l’assistant de preuve Coq. Il vérifie la validité du raisonnement mathématique d’algorithmes et de théorèmes. Gratuit et open source, Coq a d’abord été conçu pour vérifier certaines preuves difficiles dans des théorèmes. Il s’assure également que des logiciels critiques fonctionnent comme prévu, notamment dans des domaines tels que les systèmes embarqués, la cryptographie ou la finance. Enfin, il sert de support pour l’enseignement de la logique et des preuves mathématiques.

Coq n’a rien d’un petit poussin, il a été créé en 1984 par Gérard Huet, directeur de recherche émérite Inria et membre de l’Académie des sciences, et ses doctorants de l’époque Thierry Coquand, actuellement professeur à l’Université de Göteborg (Suède), et Christine Paulin-Mohring, devenue professeure à l’Université Paris-Saclay et membre du Laboratoire Méthodes Formelles (LMF - CNRS/Université Paris-Saclay/ENS Paris-Saclay).

À présent, l’évolution et la maintenance de Coq sont principalement gérées par trois équipes communes avec Inria, dont l'une est localisée à l’Institut de recherche en informatique fondamentale (IRIF, CNRS/Université de Paris), une autre au Laboratoire des Sciences du Numérique de Nantes (LS2N - CNRS/École Centrale de Nantes/Nantes Université/IMT Atlantique) et la troisième à Sophia-Antipolis. Le projet a été présenté par Théo Zimmermann, post-doctorant Inria. Le logiciel a d’ailleurs bénéficié, à partir de 2015, de nombreuses améliorations, visant notamment à ouvrir son développement. Cela explique le regain d’intérêt pour une solution aussi ancienne.

Coriolis

Issu des travaux de l’équipe Circuits intégrés numériques et analogiques (CIAN) du LIP6 (CNRS/Sorbonne Université), et présenté par Jean-Paul Chaput, ingénieur Sorbonne Université, le logiciel de conception assistée par ordinateur pour l’électronique (EDA pour Electronic Design Automation) Coriolis a obtenu un des accessits. Coriolis est un ensemble d’outils dédiés à l’intégration à très grande échelle (VLSI pour Very Large Scale Integration), c’est-à-dire à la conception de circuits intégrés où une seule puce peut contenir plus de 100 000 composants électroniques.

Avant de débuter la fabrication de tels dispositifs nanométriques, dans une des rares fonderies de semiconducteurs capables d’en produire, les entreprises ont besoin d’EDA adaptée à la VLSI. Or, pour cela, peu de solutions commerciales existent et le prix des licences professionnelles dépasse le million de dollars par an. Coriolis représente une alternative libre et solide.

Coriolis est aujourd’hui fonctionnel pour les circuits digitaux et offrira bientôt un support unifié pour les circuits analogiques et mixtes. Il remplace la partie synthèse physique des outils Alliance, issus de la même équipe, qui étaient limités à des circuits d’au maximum 10 000 portes logiques, là où Coriolis a été validé sur 150 000 portes logiques. Il est potentiellement capable d’atteindre le million de portes sur un seul serveur de calcul.

OpenViBE

Un accessit a également été décerné au logiciel OpenViBE. Consacré aux neurosciences pour la conception d’interfaces entre le cerveau et un ordinateur, OpenViBE permet d’acquérir, filtrer, traiter, classer et visualiser les signaux cérébraux en temps réel. Il est compatible avec un large choix de casques d’électroencéphalographie. Libre et gratuit, le logiciel tourne sous Linux et Windows.

OpenViBE trouve d’abord des applications médicales et/ou d’assistance, par exemple pour permettre à des personnes en situation de handicap de contrôler des ordinateurs grâce à leur seule activité cérébrale, ou pour la rééducation du système nerveux. OpenViBE intéresse aussi la robotique, les jeux vidéo et la réalité virtuelle. Il peut d’ailleurs être utilisé par des personnes qui ne connaissent pas du tout la programmation, comme de nombreux médecins, enseignants ou artistes.

Sa conception a commencé en 2006 par un consortium rassemblant Inria, l’Inserm et Orange Labs. OpenViBE a été présentée par Fabien Lotte, directeur de recherche Inria, et est aujourd’hui hébergée et développée par le Laboratoire Bordelais de Recherche en Informatique (LaBRI - CNRS/Université de Bordeaux/Bordeaux INP), et diverses équipes Inria à Bordeaux, Rennes, Sophia-Antipolis ou Paris. OpenViBE dispose d’une communauté élargie en France et à l’international, notamment organisée autour d’un forum et de workshops internationaux réguliers.

Vidjil

Enfin, un autre accessit a été décerné à Vidjil. Cette plateforme logicielle d’analyse de séquences d’ADN des globules blancs aide au suivi des leucémies. Vidjil regroupe et compte les globules blancs en fonction de leurs séquences d’ADN et de leur réarrangement V(D)J. La recombinaison V(D)J est une recombinaison de l’ADN des lymphocytes B et T, qui se déroule au début de leur maturation. Cela permet aux globules blancs de présenter une immense variété de réponses immunitaires à partir de seulement quelques gènes.

Vidjil est développé depuis 2011 par Mikaël Salson et Mathieu Giraud du Centre de Recherche en Informatique, Signal et Automatique de Lille (CRIStAL - CNRS/Université de Lille/ Centrale Lille), Inria et le consortium VidjilNet. Une quarantaine de laboratoires nationaux et internationaux utilisent à présent cette plateforme open source, et ont examiné ainsi plus de 10 000 échantillons et prélèvements.

 

Les autres logiciels soutenus par des laboratoires rattachés au CNRS :

Contact

Daniel Le Berre
Professeur à l'Université d'Artois, membre du CRIL