Disparition de Jacques Pitrat

Hommages

L'INS2I a appris avec beaucoup de tristesse que Jacques Pitrat nous a quitté le 14 octobre 2019. Il était un pionnier de l’Intelligence Artificielle en France. Il aimait d’ailleurs rappeler qu’il avait été le premier à traduire le terme anglais Artificial Intelligence en français.

Témoignage de Tristan Cazenave, Professeur à l'Université Paris-Dauphine, PSL, membre du LAMSADE :

Jacques Pitrat était Directeur de Recherche CNRS émérite au LIP6. Polytechnicien, il avait commencé sa thèse en Intelligence Artificielle en 1960 sur un système de démonstration de théorèmes utilisant des méthodes heuristiques. Il a été chercheur CNRS de 1967 à 2000 et a continué de consacrer son temps à sa recherche après avoir pris sa retraite. Il a donné des cours d’Intelligence Artificielle à Sorbonne Université (Paris 6) de 1967 à 1998. Il y a encadré 70 thèses en Intelligence Artificielle.

Il était par ailleurs fellow de l’Association for the Advancement of Artificial Intelligence (AAAI), du European Coordinating Committee for Artificial Intelligence (ECCAI) et Membre d’Honneur de l’AFIA (Association Française pour l’Intelligence Artificielle).

Il a exploré le premier, ou parmi les premiers, plusieurs domaines de l’Intelligence Artificielle en proposant des approches originales et novatrices, à commencer par le General Game Playing sur lequel il a publié le papier fondateur en 1968 programmant à cette occasion le premier système général de jeu. Il tenait particulièrement à faire des systèmes généraux pouvant s’appliquer à plusieurs problèmes, ce qui est un des objectifs fondateurs de l’Intelligence Artificielle.

Dans les années 1970 il a travaillé sur la programmation des Échecs en abordant la planification d’actions et l’apprentissage machine à partir des explications fournies par le système. Son approche de l’apprentissage machine était basée sur la compréhension par le système de ce qu’il y avait à apprendre et sur les raisonnements sur les règles du jeu pour généraliser de façon sûre. Il était partisan des systèmes utilisant des heuristiques et des connaissances pour réduire l’exploration de l’espace des possibles plutôt que de l’optimisation de la force brute de recherche. Il était proche de Herbert Simon et a gardé des liens étroits avec lui jusqu’au décès de celui-ci.

Il a aussi contribué à la naissance de la programmation par contraintes en encadrant les thèses de Jean-Louis Laurière, cette fois encore en privilégiant les méthodes permettant par le raisonnement, les connaissances et les heuristiques de réduire les choix possibles pour améliorer l’efficacité de la recherche de solutions.

Il a ensuite travaillé sur le traitement du langage naturel. Il aimait bien donner comme projet à ses étudiants un analyseur-générateur lexicographique pour tester la généralité de leurs approches.
Il a réuni tous ces domaines en abordant le thème des métaconnaissances : les
connaissances sur les connaissances. Pour expérimenter avec les métaconnaissances il a écrit le système Maciste, un résolveur généeral de problèmes utilisant des métaconnaissances.

À la fin de sa carrière il a encadré plusieurs thèses sur l’Intelligence Artificielle dans les jeux dont quatre thèses sur la programmation du jeu de Go.

Il a aussi écrit le système Malice, le descendant du système de programmation par contraintes Alice, utilisant cette fois les métaconnaissances pour optimiser la résolution de problèmes de satisfaction de contraintes.

Il travaillait depuis de nombreuses années sur le bootstrapping de l’Intelligence Artificielle avec le système CAIA, un chercheur artificiel en Intelligence Artificielle. Il était convaincu que l’intelligence humaine devait se faire aider par l’Intelligence Artificielle pour améliorer les systèmes d’Intelligence Artificielle et les rendre plus intelligents que les humains.

Il aimait programmer et passait beaucoup de temps à expérimenter et à améliorer ses systèmes.

Il considérait les systèmes qu’il programmait comme des entités, il avait d’ailleurs donné à son programme d’Échecs le prénom de son fils, Robin et avait dédié son livre sur le langage naturel au premier système d’Intelligence Artificielle capable de comprendre ce livre.

Il a soutenu jusqu’au bout sa vision de l’Intelligence Artificielle forte, une Intelligence Artificielle qui serait dans tous les domaines équivalente ou supérieure à l’intelligence humaine.

Jacques Pitrat était un homme charmant, bienveillant, brillant qui avait une passion immense pour l’Intelligence Artificielle. Il savait communiquer aux autres sa passion et a été une source inépuisable d’inspiration et de motivation pour tous les chercheurs et les étudiants qui ont eu la chance de le rencontrer.

C’est avec une profonde tristesse que je lui rends hommage.