Débruiter le quantique, l’ERC Starting Grant d’Omar Fawzi
Claude Shannon est connu pour avoir décrit dans son fameux théorème les conséquences des perturbations sur un message dans un canal de communication. Il a aussi expliqué comment remédier à ce « bruit ». Cela s’applique aux ordinateurs d’aujourd’hui… mais quid des ordinateurs quantiques qui pourraient exister demain ? Débruiter les calculs qui s’effectueront dans cet avenir quantique est au cœur de l’ERC Starting Grant d’Omar Fawzi. Pour aller au-delà de Shannon…
L’avenir de l’informatique sera quantique. À écouter Omar Fawzi, maître de conférences à l’ENS Lyon et membre du Laboratoire de l'informatique du parallélisme (LIP - CNRS/ENS de Lyon/Inria/Université Claude Bernard Lyon 1), c’est une évidence. Très à l’aise dans cet univers où les ordinateurs n’échangent plus nécessairement des bits qui portent des 0 et des 1, mais parfois les deux à la fois, il débute ces explications avec ce constat : « Le système quantique a des propriétés bizarres, avec une superposition des états. Quand on parle du chat de Schrödinger en disant qu’il est mort et vivant en même temps, ça ne semble pas faire de sens. Pourtant, on sait qu’au niveau de l’atome, c’est la bonne façon de le décrire ! ».
À notre échelle, on ne perçoit pas de phénomène quantique. Les systèmes quantiques sont extrêmement sensibles aux perturbations, appelées bruit. Toute interaction modifie l’équilibre et annule les propriétés quantiques. « C’est pourquoi nous n’avons pas encore d’ordinateur quantique : on a besoin de l’isoler pour le contrôler, et c’est extrêmement difficile. Les systèmes sont tout de suite « bruités » », précise Omar Fawzi. La matière dont est fait l’ordinateur quantique, la nature des atomes utilisés, tout participe au « bruit » dans le système. Alors que l’on attend l’ordinateur quantique pour accélérer les capacités de calcul, le voilà qui pourrait nous répondre qu’1+1 = 3, dans un petit pourcentage de cas, quand le bruit est trop présent et entraîne des erreurs de calcul. Pour permettre aux calculs de se réaliser dans un contexte quantique, il est donc nécessaire d’ajouter une couche d’informations, que l’on peut exploiter plus tard. Il s’agit de codes correcteurs d’erreurs.
Les codes correcteurs d’erreurs sont un domaine très étudié dans les ordinateurs classiques, pour compenser le bruit présent sur les canaux de communication quand on veut transmettre un message. L’information est ainsi stockée de manière redondante, ce qui permet de corriger un bit s’il a été modifié. Le théorème de Shannon, établi en 1948, est encore utilisé pour définir les compensations à apporter en fonction des bruits sur les canaux utilisés. « De mon point de vue, c’est presque un miracle que la théorie de Shannon fonctionne, et que l’on puisse comprendre exactement les codes correcteurs à utiliser, s’amuse Omar Fawzi. Mais dans le cas quantique, le miracle ne se produit pas. Or c’est encore plus important car il y a encore plus de bruit. »
Il n’y a pas d’analogue au théorème de Shannon dans le monde quantique. L’intuition naturelle consistant à transposer son théorème ne fonctionne pas. Il fallait donc aller plus loin, d’où le nom de l’ERC Starting Grant qu’Omar Fawzi vient d’obtenir : Beyond Shannon. Il était nécessaire d’avoir une approche différente. « Je ne veux pas caractériser la performance du code correcteur de manière explicite comme le fait Shannon, développe Omar Fawzi, mais je veux plutôt détailler un processus qui permet d'aboutir au code optimal à utiliser. » Le théorème de Shannon fonctionne en estimant que les canaux de communication sont très nombreux et qu’ils tendent vers l’infini. La correction d’erreurs fonctionne ainsi statistiquement. Mais dans le cas des systèmes quantiques, où il y a à l’heure actuelle très peu de canaux, il fallait une approche différente et Omar Fawzi a proposé une approche algorithmique. L’enseignant-chercheur souhaite ainsi construire un algorithme prenant en entrée la description du canal bruité et donnant en sortie la description d’un code, pour utiliser de l’information sur ce canal de façon optimale ou proche de l’optimal.
Cette approche originale est venue à Omar Fawzi à l’occasion d’un travail sur… les ordinateurs classiques. « Je voulais voir si dans un cadre complètement classique, l'intrication quantique (la superposition des états des bits dans un cadre quantique) permet de communiquer de manière plus efficace, précise-t-il. Cela m’a amené à faire une connexion avec un domaine qui n’a a priori rien à voir : l’étude de l’optimisation de fonctions sous-modulaires. » Il s’agit d’une sous-classe de fonctions très étudiée en optimisation. Cette utilisation a permis à l’enseignant-chercheur de résoudre le cas classique avec l’approche algorithmique. Il ne restait « plus qu’à » élargir au quantique…
Mais son projet ne s’arrête pas là. Il souhaite appliquer son approche algorithmique et d’autres techniques d’optimisation à la problématique du calcul de l’entropie. L'entropie quantifie l'incertitude présente dans un système. C’est un point fondamental en cryptographie, où l’on a besoin de déterminer précisément ce qui peut être connu ou non des personnes qui peuvent attaquer. À l’heure actuelle, l’étude de petits systèmes avec une entropie est bien maîtrisé. L’objectif d’Omar Fawzi est de développer un théorème qui permettrait de décomposer l’entropie d’un tout, en entropie de différents systèmes plus réduits et plus faciles à étudier.
Enfin, après avoir œuvré à implémenter les bons codes correcteurs d’erreurs dans les systèmes quantiques, il s’intéressera également à les décoder ! « Dans un système quantique comme ailleurs, si on veut utiliser les codes correcteurs d’erreurs en pratique, une propriété importante est qu’il faut que ce soit rapide !, s’exclame l’enseignant-chercheur. J’essaie donc de construire des méthodes assez génériques pour décoder les codes quantiques. Le fait de les avoir générés au départ pourrait aider, mais ce n’est pas encore certain. »